Découvrez les deux lauréats
du PRIX BIOVIV'ART DES JEUNES AUTEUR.RICE.S
Pour sa deuxième édition, Bioviv’art a lancé un appel à textes de théâtre en langue française, inédits ou édités, en lien avec l'écologie et la biodiversité.
Objectif : recueillir la parole de la “jeune génération” sur la crise climatique, comprendre comment ils la vivent, écrivent avec et sur elle, imaginent leur futur.
Le jury, un collectif de membres de l’association Bioviv’art d’horizons variés, a reçu plus de 20 textes et en a sélectionné deux, qui seront lus par leurs auteur.ices sur la scène du festival le dimanche 30 juillet à 16h.
Les lectures sont suivies d’un bord de plateau, l'occasion d'échanger avec les lauréat.e.s.
MATHILDE BELLIN
Désireuse depuis toujours de faire du théâtre, Mathilde co-fonde la compagnie Syncope collectif en 2019 avec ses camarades du Laboratoire de formation au théâtre physique de Montreuil, toustes fraîchement diplômé.e.s. "Tout ce qu’il y a dans le ventre des poissons", c’est le nom de la pièce qu'elle a soumise à notre appel. Un superbe texte déjà écrit, monté et joué quelques fois dans des salles parisiennes. Ce texte, elle l’a imaginé pour son ami comédien Felipe, originaire du Minas Gerais, au Brésil, qui lui avait raconté la rupture du barrage de Mariana et la terrible coulée de boue chargée de déchets miniers qui s’en était suivie, en 2015. Rares sont les festivals qui se concentrent sur le thème de l’écologie, souligne Mathilde, et encore plus rares, voire inexistants, ceux qui donnent la parole à de jeunes auteur.ices, qui plus est avec des textes déjà mis en scène.
ALEXIS BEAUMONT
Il a commencé par la danse avant de se diriger vers le théâtre, dès le lycée : “j’ai toujours eu l’amour de la scène” raconte Alexis Beaumont. Avide de toutes sortes d’écritures, chanson et poésie notamment en plus du théâtre évidemment, il a fait des études de lettres à Tours avant d’intégrer un master d’écriture dramatique et création scénique à Toulouse, dont il est sorti diplômé en présentant un “Cabaret de l’angoisse”. Changement de ton avec "Un souci nommé Algos", pièce pour deux jeunes adultes et un papillon de nuit, écrit expressément pour l’appel à textes de Bioviv’art, qu'Alexis a découvert sur le tard. “J’avais envie d’essayer autre chose, confie-t-il, et de relever le challenge d’écrire sur un sujet avec lequel j’avais peut-être moins d’affinités.” Après s’être questionné sur sa légitimité à s’exprimer sur ces sujets, il s’est lancé, mêlant son intuition poétique à des recherches scientifiques.
Tout ce qu'il y a dans le ventre des poissons
Mathilde Bellin
Personnages
AUGUSTO, frère de Sophia
LA SIRÈNE, ou Sophia, sœur d'Augusto LA MINISTRE, Elie
LA CONSEILLÈRE, Esther
LE PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ SAMARCO, Joël CHŒUR DES INSECTES
CHŒUR DES OISEAUX
CHŒUR DES POISSONS
CHŒUR DES HUMAIN·E·S
UN.
PROLOGUE
(AUGUSTO, LE PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ SAMARCO, LA MINISTRE, LA CONSEILLÈRE, LA SIRÈNE) Quelque part dans le temps
Au public
AUGUSTO. – Je vais vous dire exactement ce qu'il va se passer. Oui.
Exactement ce qu'il va se passer.
Alors.
Ça a commencé comme ça.
Le cinq novembre deux mille quinze, le barrage de Mariana, dans l'état brésilien du Minas Gerais, rompait.
Une boue rouge, couleur du sang, s'est déversée sur le village de Bento Rodrigues. Rayé de la carte, Bento Rodrigues.
Le Rio Doce, contaminé par cette boue.
Une boue rouge sang.
Une boue toxique.
De très fortes doses de mercure, de fer, dans la boue.
De l'arsenic, dans la boue.
Une infinie variété d'autres métaux lourds, dans la boue.
Bento Rodrigues, dans la boue.
Le barrage de rétention de déchets de mines de fer appartenait à la compagnie minière Samarco, une copropriété du groupe brésilien Vale. Vale est le premier producteur mondial de minerai de fer.
Le président de la société Samarco, que pour les besoins de la fiction et pour diverses raisons juridiques nous appellerons Joël et qui -
LE PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ SAMARCO. – Bonsoir.
AUGUSTO. – Voilà, c'est Joël. Les barrages, donc, appartiennent à Joël. La boue appartient à Joël. L'arsenic, le manganèse, le mercure, appartiennent à Joël.
LE PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ SAMARCO. – Techniquement, ça ne m'appartient pas -
AUGUSTO. – Joël est un très bon ami de la Ministre de l'environnement, que nous appellerons Elie et dont -
LA MINISTRE. – Bonsoir.
AUGUSTO. – C'est Elie. Et c'est aussi ce qu'on appelle une amitie en politique : copains comme cochons.
LA MINISTRE. – N'importe quoi.
AUGUSTO. – Eh ben voilà, c'est ce que je disais, corruption, hop, collusion, hop, intérêts privés !
LA MINISTRE. – / C'est débile, une énième affaire de lobbying comme on en entend par milliers, les traits sont trop grossis, personne n'y croit.
AUGUSTO. – / Mais oui, j'affabule, bien évidemment.
LA MINISTRE. – / L'illusion ne va jamais prendre.
AUGUSTO. – / Toute ressemblance avec des faits réels sera donc tout à fait fortuite.
LA MINISTRE. – / C'est raté d'avance.
(Silence)
Un souci nommé Algos
Alexis Beaumont
Personnages :
LILI, jeune adulte
OCÉAN, jeune adulte
UN PAPILLON DE NUIT
Un petit plan de terre, d'environ quatre mètres carrés, situé sur l'avenue d'une grande métropole, remplie de gratte-ciels immenses et étouffants. Le petit plan de terre est entourée d'une minuscule et jolie clôture en bois, excepté sur l'un de ses côtés. Sur ce dernier, un.e jeune adulte est agenouillé.e, Lili, un arrosoir dans les mains. Il.elle abreuve une rose d'Inde.
Lentement, un.e autre jeune adulte, Océan, s'approche timidement de ce petit plan, et regarde, à mi-distance, l’œuvre de Lili, et plus précisément les gouttes qui viennent se déposer sur les pétales de la fleur arrosée.
Lili ressent la présence de l'individu dans son dos. Il.elle le.la regarde brièvement. Océan s'approche, s'assoit à proximité, et sort de son grand sac à dos un petit sachet de graines ainsi qu'un arrosoir.
LILI, accroupi.e : Une nouvelle pousse vient de germer.
Océan ne regarde pas Lili, et se concentre sur son ouvrage. Il.elle sort nerveusement les graines de leur sachet, et commence à les planter.
LILI : Concentré, le débutant.
OCÉAN : Pardon, c'est à moi que tu parlais ?
LILI, après un temps : J'allais te dire qu'il n'y a personne d'autre, mais tout le monde me dit sans cesse que je parle à mes fleurs !
OCÉAN : Désolé, j'hésitais un peu à venir, et du coup je me suis focalisé sur...
LILI : Pas la peine de t'excuser, rien de grave. Tu nous as apporté quoi ?
OCÉAN : J'ai apporté des soucis.
LILI : Nous voilà dans de beaux draps. Comme si on en avait pas assez, voilà que je dois m'occuper de ceux qui arrivent !
OCÉAN , le sourire aux lèvres : Je peux m'occuper de mes fleurs tout seul.
LILI : Du calme, moussaillon.
Les deux rient.